ARETEE DE CAPPADOCE


traduction française du
Docteur M.L. Renaud
1834




Des signes et des causes des maladies aigues, Livre premier
De l'Accès des Epileptiques. chap. V
Des signes et des causes des maladies chroniques, Livre premier
De la scotodynie ou vertige ténébreux, cap. III
De l'épilepsie, cap.IV
De la mélancholie, cap.V
De la manie, cap. VI
De la résolution des Nerfs ou Paralysie, cap. VII




De l'Accès des Epileptiques. Chapitre cinquième.

Les malades éprouvent des éblouissements, des vertiges, des pesanteurs dans la région cervicale, avec gonflement et tension des veines de cette partie ; de fréquentes nausées après avoir mangé, et même sans avoir rien pris, des soulèvements du coeur et le rejet d'une pituite abondante ; la moindre nourriture est suivie de dégoût et de crudités ; les hypochondres sont tendus, pleins de vents. Ces signes qui précèdent l'accès sont assez constants ; lorsque celui-ci fait craindre son approche, des étincelles comme autant de taches brillantes de marbre, pourprées, noires, de toutes couleurs semblent circuler devant les yeux, au point qu'on s'imagine voir un arc-en-ciel. L'odorat est frappé d'une odeur désagréable, les oreilles d'un bourdonnement incommode. Les malades deviennent irrascibles, leur bile s'enflamme sans raison. Aussi les uns tombent à la moindre cause au moindre chagrin ; les autres, s'il leur arrive de fixer le courant d'une rivière, ou bien une roue qu'on tourne, ou un sabot qu'on fait pirouetter ; enfin s'il leur arrive de sentir une odeur un peu forte, par exemple l'odeur de la pierre que l'on nomme Gagate.
Chez ceux dont je viens de parler, le mal paraît être fixé dans la tête, et c'est là qu'il commence à nuire ; d'autres fois il se fait sentir dans des nerfs très-éloignés du cerveau, mais tels qu'ils sympathisent avec cet organe principal. Les gros doigts des pieds et des mains commencent donc par éprouver un mouvement convulsif, suit un sentiment de douleur, d'engourdissement, de trémeur, et le mal s'insinuant par degrés vers la tête, toute son impétuosité se porte enfin sur le cerveau. Les malades ressentent alors un coup violent, comme si on les frappait avec un bâton ou une pierre. Ils se plaignent comme si quelqu'un venait de les frapper d'une manière insidieuse. Cette méprise n'arrive qu'à ceux qui sont attaqués du mal pour la première fois ; quand il leur est devenu familier, qu'ils le sentent arriver au doigt, ou commencer par cet endroit ; instruits par l'expérience à prévenir l'accès qui les menace, ils s'adressent aux personnes présentes et qui ont coutume de les assister, les prient de leur lier, de leur fléchir, de leur étendre les membres par où le mal commence ; ils se les tirent souvent eux-mêmes comme s'ils voulaient arracher le mal. Un grand nombre sont saisis de frayeur comme s'ils voyaient une bête fauve se ruer sur eux, ou bien s'imaginent voir une ombre et tombent ainsi.
Au commencement de l'accès, l'homme reste étendu sans connaissance, ses mains se contractent convulsivement ; ses jambes non-seulement se contractent mais se déjettent ça et là par le tiraillement de leurs tendons. L'état de ces infortunés ressemble beaucoup à celui d'un taureau qu'on vient d'égorger. Le col se tordant, la tête se courbant forcément, tantôt se fléchissant sur la poitrine, de sorte que le menton adhère au sternum, tantôt se renversant sur le dos comme quand on tire quelqu'un de force par les cheveux et ballottant vers l'une et l'autre épaule ; la bouche énormément béante, aride ; la langue longuement tirée et en grand danger d'être grièvement blessée, ou même coupée ; car il arrive quelquefois que les dents se serrent convulsivement ; les yeux contournés ; les paupières fréquemment entr'ouvertes avec une espèce de clignotement, et lorsqu'elles veulent se fermer ne se rapprochant jamais assez au point de ne pas laisser entrevoir le blanc des yeux ; les sourcils froncés, comme chez les personnes qui ont un air courroucé, ou repoussés vers les tempes laissant le front sans rides et extrêmement tendu, les joues colorées, palpitantes ; les lèvres tantôt rapprochées au milieu, tantôt repoussées vers les angles de la bouche, de sorte qu'elles restent serrées contre les dents, comme une personne qui rit.
Dans l'intensité du mal, bien que les joues soient rouges, le reste de la figure est pâle ; les veines du cou se gonflent, la voix se trouve éteinte comme dans la strangulation ; les oreilles sont insensibles aux cris les plus forts ; au lieu de voix, on n'entend qu'une espèce de murmure ou gémissement sourd ; la respiration devient entrecoupée, suffoquée, comme chez ceux qu'on étrangle. Le pouls véhément vif et serré au commencement de l'accès, devient plus plein, plus mou, plus lent vers la fin ; il suit en général une marche irrégulière, il y a érection des parties génitales. Ces symptômes s'observent vers la fin du paroxysme.
Lorsque le mal est sur le point de finir, les urines passent involontairement : il survient un flux de ventre ; chez quelques-uns il y a émission de sperme ; ce dernier écoulement peut être causé par la pression ou le resserrement des vaisseaux spermatiques ou par un prurit douloureux des nerfs qui occasionne dans ces parties un flux d'humeurs ; car dans ce mal les nerfs sont douloureusement affectés ; la bouche extrêmement humide, remplie d'une pituite abondante, épaisse, froide ; on pourrait en agglomérer une quantité prodigieuse en la laissant filer. Pendant la longue et pénible angoisse qu'éprouve le malade, ce qui se trouve renfermé dans l'intérieur de la poitrine fermente ; l'air ou souffle qui s'y trouve comme retenu agite le tout et le met en ébullition ; or, quand la respiration devient plus libre, cette humeur troublée et convulsivement agitée se fait jour en même-temps que l'air et inonde la bouche et les narines ou de pituite mêlée d'air ; de sorte qu'il se fait un relâchement général, quand la suffocation qui existait vient à cesser. Ainsi les épileptiques, de même que la mer lorsqu'elle est agitée par la tempête, rejettent une grande quantité d'écume, et alors ils se relèvent comme ayant fini leur accès ; mais quoique le mal cesse, ils n'en restent pas moins d'abord affaissés, les membres roués, sans force, la tête pesante, pâles, tristes, humiliés et par ce qu'ils viennent de souffrir et par la honte que leur cause un tel mal.

De la Scotodynie ou vertige ténébreux. Chap. III

Si la vue se couvre, si la tête paraît tourner, si les oreilles bourdonnent et sont frappées d'un bruit semblable aux eaux d'un fleuve qui tombent en cascade, ou au fracas des voiles battues par les vents, au son bruyant d'une trompette ou d'un clairon, ou au roulement d'un char, cette affection prend le nom de Vertige, mal également dangereux, soit qu'il soit une maladie primitive de la tête, soit qu'il accompagne la céphalée ou survienne à cette maladie devenue chronique ; car quoique la céphalée subsiste encore, si l'éblouissement accompagné de tournoiement de tête s'y réunit, qu'il persiste long-temps et augmente à un très-haut degré avec les symptômes qui lui sont propres, sans que rien ne soulage, la maladie se change pour lors en vertige. Cette maladie a pour cause le froid joint à l'humide. Quand elle est incurable, elle devient le principe d'autres maladies ; comme de la manie, de la mélancolie, de l'épilepsie et ses symptômes se réunissent à chacune de ces affections. Voici quels sont les symptômes du vertige : la tête devient pesante, il paraît devant les yeux des étincelles environnées environnées d'obscurité ; le malade perd connaissance, il ne sait ce qu'il devient, ni ce que deviennent ceux qui sont présents ; le mal augmentant, les genoux lui manquent et ils se trouve obligé de se traîner par terre ; il survient des nausées et des vomissements de pituite et de bile tantôt noire, tantôt jaune ; la bile jaune annonce la manie ; la noire la mélancolie ; la pituite l'épilepsie ; c'est ainsi que les maladies se succèdent.



De l'Epilepsie. Chapitre IV.

L'Epilepsie est une maladie aussi étrange que variée dans ses effets. Elle est quelque fois d'une nature si maligne, si aigüe, si pernicieuse dans ses accès qu'un seul suffit pour donner la mort : s'il arrive qu'avec des soins convenables le malade supporte le mal, ce n'est que pour traîner une vie misérable, honteuse et ignominieuse. Cette maladie ne s'en va point facilement, elle s'attache au meilleur et au plus bel âge de la vie, aime à vivre avec la jeunesse, et si, par un heureux hasard, l'âge plus vigoureux qui suit la chasse et qu'elle se retire à l'époque de la puberté, elle ne s'en va point ordinairement sans laisser des marques de sa violence ; comme si elle était jalouse de la beauté des enfants, elle les laisse ou perclus de leurs membres ou la figure contrefaite ou privés de quelques-uns de leurs sens. Une fois qu'elle s'est opiniâtrement fixée et qu'elle a jeté de profondes racines, ni l'art ni le changement d'âge ne peuvent l'extirper ; elle vit avec le malade et ne meurt qu'avec lui. Elle ne se contente pas de faire souffrir le corps, de tordre les membres et les yeux, elle attaque aussi quelquefois l'esprit et le jette dans la folie ; elle présente un spectacle hideux lorsqu'elle se saisit du malade ; elle en présente un degoûtant lorsqu'elle le quitte souillé d'urine et d'excrémens passés involontairement. Le prétexte apparent qu'on donne à cette maladie est aussi contre toute vraisemblance : il y en a qui s'imaginent que ce mal vient de la lune, et que c'est un châtiment qu'elle exerce contre les impies qui outragent sa divinité, et qu'on lui donne en conséquence le nom de mal sacré ; mais il paraît qu'on lui a donné ce nom pour plusieurs autres raisons, soit à cause de la grandeur de la maladie, car on a coutume d'appeler sacré tout ce qui est grand ; soit parce que les Dieux seuls peuvent la guérir, les secours humains étant insuffisants : soit parce qu'on a cru que les épileptiques étaient possédés du démon, ou pour tous ces motifs ensemble.
Nous avons exposé ci-devant les symptômes de l'épilepsie comme maladie aigüe ; voici ce que les malades éprouvent lorsqu'elle persiste long-temps : ils ne se rétablissent point dans les intervalles de l'accès ; ils restent affaissés, découragés, abattus, tristes ; ils fuient la vue et la société des hommes, ils deviennent sauvages de plus en plus à mesure qu'ils avancent en âge ; ils dorment peu, et quand cela leur arrive, leur sommeil est troublé par des rêves étranges ; ils ont de la répugnance pour la nourriture, ils la digèrent mal ; ils ont le teint mauvais, plombé ; l'engourdissement de leur esprit et de leurs sens fait qu'ils sont incapables de rien apprendre ; ils sont presque sourds, ils ont des bourdonnements d'oreilles et éprouvent une espèce de tintement désagréable dans la tête ; leur langue hésite et articule peu clairement ; ce qui provient ou de la nature particulière de la maladie, ou des blessures que cet organe a reçues pendant le paroxysme ; car alors la langue agitée de convulsions se meut et se tourne dans la bouche en différents sens. La maladie prend enfin tellement sur leur raison qu'ils finissent par devenir complètement imbéciles ; or la cause de tous ces maux est le froid joint à l'humidité.


De la Mélancholie. Chapitre V.

Si dans les maladies aigües la bile noire se porte par haut, c'est extrêmement funeste ; si elle descend, c'en est moins mauvais. Si dans les maladies chroniques elle prend son cours par bas, elle se borne ordinairement à occasionner des tranchées ou des douleurs de foie ; chez les femmes elle remplace l'évacuation menstruelle, du reste elle est sans beaucoup de danger ; mais si elle remonte vers l'orifice de l'estomac et aux environs des hypochondres, elle engendre la Mélancolie ; car alors elle cause des flatulences par haut et des éructations fétides, d'une odeur de poisson pourri, et inférieurement des vents qui sortent avec beaucoup de bruit, en même temps qu'elle affecte et aliène l'esprit. C'est pour cette raison que les anciens appellaient indifféremment mélancoliques ou venteux ceux qui sont attaqués de cette maladie. Il y a aussi des personnes qui ne paraissent avoir ni vents ni bile noire, mais qui sont extrêmement irrascibles, tristes, plongés dans un abattement profond, auxquelles on donne néanmoins ce nom ; car cette disposition irrascible indique une surabondance de bile, et la violence annonce qu'elle est noire. C'est ce que témoigne Homère lorsqu'il dit :

Le fier Agamemnon se lève à ce propos,
La tristesse se peint dans les traits du héros,
Ses hypochondres noirs de fureur se remplissent,
De ses yeux enflammés mille éclairs rejaillissent.

De tels tempéraments portés à l'excès finissent par devenir vraiment mélancoliques.
La Mélancolie est une affection sans fièvre, dans laquelle l'esprit triste reste toujours fixé sur la même idée et s'y attache opiniâtrement ; elle me paraît être un commencement ou une espèce de demi-manie. Il y en a en effet cette différence entre l'une et l'autre maladie, que dans la manie l'esprit reste se porte tantôt à la tristesse tantôt à la gaité, dans la mélancolie l'esprit reste constamment triste, abattu. Les maniaques sont tous attaqués d'une même espèce de folie pendant la plus grande partie de leur vie ; cette folie ne varie pas, ils restent toujours fous, commettant toujours les mêmes actes de fureur et de violence. Les mélancoliques varient dans l'objet de leur démence ; ou ils s'imaginent qu'on veut les empoisonner, ou ils fuient dans la solitude par misanthropie, ou ils se tourmentent par des idées superstitieuses, ou ils prennent la lumière et la vie même en aversion. S'il arrive quelquefois que cette tristesse cesse ou se dissipe, la plupart de ceux chez lesquels ce changement arrive deviennent maniaques. Voici, suivant moi, comment et par quel changement dans le siège du mal la chose arrive. Pendant que le mal réside dans les hypochondres, et que sa cause n'agit qu'aux environs du diaphragme, et que la bile a une libre sortie par en haut et par en bas, le malade reste simplement mélancolique ; mais si cette cause agit sympatiquement sur le cerveau, l'excès de tristesse se change en une joie et des ris immodérés qui durent une partie de la vie. Les mélancoliques deviennent ainsi maniaques plutôt par les progrès que par l'intensité du mal. Ces deux maladies ont pour cause la sécheresse. Elles attaquent également les hommes et les femmes ; si celles-ci sont moins sujettes à la manie que les hommes, elles en souffrent plus violemment. Ce mal attaque la vigueur de l'âge et ceux qui en approchent ; l'été et l'automne le produisent ; il se juge au printemps.
Quant aux signes qui annoncent la mélancholie, ils sont assez évidents d'eux-mêmes ; les malades restent taciturnes, tristes, abattus, apathiques, et cela sans raison ; car la maladie commence sans aucun sujet ; ils deviennent ensuite irrascibles, d'une humeur difficile, dorment mal et se réveillent en sursaut, saisis de frayeur ; à mesure que le mal augmente, leur terreur devient plus forte ; bientôt ils prennent leurs propres rêves pour des choses vraies, terribles, évidentes ; leur imagination déréglée leur fait voir dans leur sommeil et appréhender des choses qui n'existent point encore, ou même qui ne peuvent exister suivant le cours ordinaire de la nature. Ils se portent promptement à un excès et s'en repentent aussitôt ; ils sont mesquins, vétilleurs, d'un sordide intérêt ; puis un moment après ils deviennent prodigues, généreux, de la plus grande libéralité, et cela non par caractère, mais par l'inconstance du mal. Lorsqu'il fait des progrès ultérieurs, ils deviennent entièrement misanthropes, détestent la société ; ils se plaignent de maux imaginaires, maudissent leur propre vie, se désirent la mort. On en voit dont la raison s'affaisse et s'abrutit au point qu'oubliant tout et s'oubliant eux-mêmes, ils ne semblent plus vivre que d'une manière purement animale. Toute l'habitude du corps se détériore, leur teint devient d'une jaune vert, surtout lorsque la bile, ne s'évacuant point par les selles, passe dans le sang et se répand sur la surface du corps. Ils sont extrêmement maigres, quoiqu'ils mangent beaucoup ; le sommeil chez eux ne fait point fructifier la nourriture, l'insomnie dissipe et porte tout au dehors. Aussi le ventre est toujours extrêmement serré, ou s'il passe quelque chose, ce sont des matières desséchées, cuites, des crottes noirâtres, teintes de bile ; les urines sont aussi bilieuses, âcres et passent en petite quantité. Ils ont les hypochondres tendus, pleins de vents, des éructations fétides, aigres et d'une odeur marécageuse ; ils rejettent en même temps quelques bouchées d'une pituite âcre, mêlée de bile. Ils ont en général le pouls petit, faible, languissant, se mouvant à peine et pour ainsi-dire figé.
On rapporte à ce sujet qu'un particulier qui paraissait attaqué d'une mélancolie incurable, étant devenu amoureux d'une jeune fille, fut guéri par l'amour ; ce que les médecins n'avaient pu faire. Pour moi, je pense que ce malade avait été autrefois extrêmement amoureux de cette jeune personne, et que n'ayant pu réussir dans son amour, il était devenu sombre, triste, rêveur et avait passé aux yeux de ses concitoyens, qui ne connaissaient point la cause du mal, pour être atteint de mélancolie ; mais qu'ayant eu dans la suite plus de succès et joui de l'objet désiré, il était devenu moins sombre et moins atrabilaire, la joie ayant dissipé cette apparence de mélancolie, et que, sous ce rapport seulement, l'amour était devenu médecin et avait triomphé de la maladie.


De la Manie. Chapitre VI
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La Manie peut varier en apparence et prendre mille formes, mais au fond c'est toujours la même maladie : c'est une démence totale, chronique, sans fièvre, ou si la fièvre l'accompagne, ce n'est qu'accidentellement et non à raison de la maladie. Le vin peut enflammer l'esprit et causer une espèce de démence ; il en est de même de certaines substances narcotiques prises comme aliments, telles que la mandragore et l'hyosciame, mais ces démences passagères ne prennent point le nom de manie ; elles surviennent tout à coup et se dissipent de même, au lieu que la manie est stable et permanente, Le délire auquel les vieillards sont sujets ne ressemble pas non plus à cette maladie ; c'est une espèce de torpeur et d'affaissement des sens et de l'esprit ayant pour cause le refroidissement ; la manie au contraire qui provient de la chaleur et de la sécheresse est un excès d'activité et de trouble dans les fonctions. D'ailleurs le délire des vieillards n'a aucune intermission ; une fois qu'il les attaque, il persiste et ne cesse qu'à la mort, pendant que la manie a des intermissions complètes et peut même cesser entièrement par un traitement convenable. Il est vrai qu'on ne doit pas compter toujours sur les intervalles où la manie cesse d'elle-même et sans raison, à moins qu'on ait obtenu une cure solide par des remèdes propres et dans une saison convenable ; car on voit plusieurs maniaques que l'on croyait entièrement guéris, retomber soit à l'approche du printemps, soit par quelque erreur de régime, soit par un accès fortuit de colère. Les personnes en effet, sujettes à cette maladie, sont d'un caractère vif, prompt à s'enflammer, actif, léger, gai, enfantin ; celles qui sont d'un tempérament contraire, d'un esprit pesant, d'un caractère sombre et apathique, qui apprennent avec beaucoup de peine et de travail et oublient promptement, ont plus de penchant pour la mélancolie. Ceux-là sont aussi plus exposés à la manie chez lesquels le sang et la chaleur abondent, comme parmi les différents âges, les jeunes gens surtout et les hommes dans leur vigueur, au lieu que ceux chez lesquels la chaleur provenant d'une bile noire, et un tempérament sec et aride dominent, tombent plutôt dans la mélancolie. Le genre de vie particulier dispose aussi à la manie, comme de manger trop, de se remplir outre mesure, l'excès dans la boisson, l'abus ou le désir trop ardent des plaisirs vénériens. Les femmes sont aussi sujettes à cette maladie, surtout celles chez lesquelles l'évacuation habituelle n'a pas lieu, ou lorsqu'elles deviennent homasses ; les autres plus difficilement à la vérité, mais une fois attaquées, la maladie chez elles est plus violente. Telles sont les causes de la maladie. On peut ajouter qu'elle attaque ainsi les hommes, si, par quelque cause que ce soit, il y a suppression des évacuations habituelles du sang, de la bile et des sueurs.
Parmi les maniaques, on en voit dont la folie est d'une nature gaie, qui rient, qui chantent, dansent nuit et jour, qui se montrent en public et marchent la tête couronnée de fleurs, comme s'ils revenaient vainqueurs de quelques jeux ; d'autres dont la fureur éclate à la moindre contradiction, qui déchirent leurs vêtements, qui massacrent leurs domestiques et portent souvent des mains violentes sur eux-mêmes : les premiers ne font de mal à personne tandis que la rencontre de ces derniers est dangereuse. La manie prend une infinité de formes différentes ; parmi les gens bien élevés et qui ont de l'aptitude aux sciences, on en a vu plusieurs devenir astronomes sans maître, philosophe sans précepteur, poëtes d'eux-mêmes et comme par l'inspiration des Muses, la bonne éducation se faisant même sentir dans les maladies ; d'autres parmi les illettrés et les personnes du peuples devenir d'excellents manoeuvres, potiers, maçons, charpentiers sans apprentissage. Il y en a d'autres dont la folie roule sur certaines idées extravagantes, comme celui s'imaginant être de brique, n'osant boire de peur de se détremper ; un autre se croyant être un vase avait la plus grande frayeur de tomber, de peur de se briser. On rapporte aussi l'histoire d'un charpentier, ouvrier très-sensé dans son attelier, qui mesurait, sciait, coupait, joignait avec beaucoup d'adresse son ouvrage et faisait parfaitement bien une charpente ; qui savait d'ailleurs raisonner, calculer, convenir d'un juste prix pour son entreprise, qui était, en un mot, extrêmement sage et de sens rassis, pendant qu'il était dans le lieu où il avait coutume de travailler. Mais il était obligé de sortir, soit pour aller au marché, soit aux bains publics ou à ses autres affaires particulières, dès qu'il fallait quitter ses outils, il commençait à pousser des soupirs, en sortant de chez lui il se froissait les épaules, et une fois qu'il avait perdu de vue son atelier et ses compagnons, perdait la tête et devenait complètement fou ; rentrait-il promptement, il revenait aussitôt à lui. Il paraît qu'il y avait une certaine affinité entre l'atelier et l'esprit de cet homme.
La cause de la manie réside dans la tête et les hypochondres ; tantôt l'une et l'autre partie souffrent ensemble ; tantôt elles se communiquent réciproquement le mal ; généralement néanmoins la manie et la mélancolie ont leur siège dans les viscères ; la phrénésie a ordinairement le sien dans la tête et dans le sensorium commun : les sens paraissent en effet lésés dans cette dernière affection ; car les phrénétiques voient souvent les choses absentes comme présentes, et en voient de présentes qui ne paraissent aux yeux de personne, pendant que les maniaques voient les choses comme elles sont et comme on doit les voir ; ils se trompent seulement en ce qu'ils raisonnent mal, et en jugent autrement que l'on doit en juger.
Lorsque l'accès de la manie commence à se faire sentir, les malades deviennent sans cause vifs, extrêment sensibles, soupçonneux, irrascibles, de mauvaise humeur sans raison, si la manie est d'une nature sombre et noire ; gais et de bonne humeur dans le cas contraire ; les premiers dorment peu, quoique rien ne paraisse les en empêcher ; ils ont les uns et les autres quelque chose de convulsif dans les yeux ; la tête leur fait mal ou du moins ils l'ont très-pesante ; ils ont l'ouïe extrêmement fine, pendant que l'entendement est dans un sens inverse ; chez quelques-uns les oreilles tintent d'une manière particulière et sont frappées d'un bruit semblable à celui d'une trompette. A mesure que le mal fait des progrès, ils deviennent gonflés, pleins de vents, dégoûtés ; ils mangent d'une manière gloutonne ; l'insomnie les rend voraces, cependant ils maigrissent moins que les autres malades, surtout ceux dont le mal tend à la mélancolie, et conservent une espèce d'embonpoint blafard, à moins qu'il ne survienne quelque inflammation dans les viscères qui leur occasionne un dégoût complet et empêche la nourriture de profiter. Leurs yeux se creusent, leur regard devient fixe. Des spectres d'une couleur bleuâtre, noire, si la maladie tend à la mélancolie ; d'une couleur rouge et approchant de l'écarlate, si elle tend à la fureur, semblent se présenter à leur vue. Plusieurs d'entr'eux s'imaginent voir une lumière vive semblable à un éclair et sont frappés de terreur, comme si la froude tombait sur eux ; on en voit qui ont les yeux rouges et pleins de sang. Lorsque le mal est parvenu à son comble, ils éprouvent des érections et perdent leur semence ; ils ont un désir insatiable pour le coït, ils n'ont ni honte ni crainte de satisfaire publiquement leurs désirs effrénés ; les avis, les menaces ne servent qu'à les irriter et provoquer leur fureur, qui se manifeste enfin tantôt d'une manière tantôt d'une autre. Les uns courent extrêmement loin, sans savoir où ils vont, puis reviennent sur leur pas ; les autres suivent le premier venu et l'accompagnent pendant une grande partie de la route ; d'autres crient de toutes leurs forces et se plaignent qu'on veut les voler ou les égorger ; d'autres enfin fuient dans la solitude et s'entretiennent avec eux-mêmes. L'accès fini, ils deviennent languissants, tristes, taciturnes, et se rappellant ce qui vient de leur arriver, ils en sont honteux et confus.
Il y a une seconde espèce de manie dans laquelle les personnes qui en sont attaquées se déchiquètent les membres dans la pieuse pensée que les Dieux l'exigent, et que c'est leur faire quelque chose d'agréable. Cette manie ne consiste que dans cette persuasion, car ces personnes se montrent en toute chose très-sensées ; elles y sont excitées par le son des flûtes, par une délectation particulière, un état d'ivresse et par les exhortations des spectateurs ; c'est une espèce de fureur divine. Revenues à elles-mêmes, elles sont contentes et remplies de joie et se regardent comme du nombre des initiés ; elles restent seulement pâles, défaites et long-temps faibles, à cause des blessures qu'elles se sont infligées.


De la Résolution des nerfs ou Paralysie. Chapitre VII.

L'Apoplexie, la Paraplégie, la Parésie, la Paralysie sont des affections du même genre, il y a privation ou du sentiment ou du mouvement ou de l'un et l'autre, quelquefois même de la connaissance et des autres sens intérieurs. L'apoplexie, en effet, est une privation totale du sentiment, du mouvement et de la connaissance même. Aussi est-il impossible de guérir une apoplexie forte, et très difficile d'en guérir une faible. La paraplégie est une perte du sentiment et du mouvement, mais seulement dans un seul membre tel que le bras ou la jambe. Dans la paralysie, il y a privation du mouvement et de l'action ; s'il y a perte du sentiment seulement, ce qui arrive rarement, c'est une anesthésie plutôt qu'une paralysie.Quand Hippocrate dit dans son style ordinaire, qu'une cuisse est apoplectique, il veut dire qu'elle est dans un état de mort, sans vie, et faire entendre qu'une paraplégie de cette espèce est à la cuisse ce qu'une forte apoplexie est au reste du corps. La Parésie se dit particulièrement de la rétention des urines dans la vessie ou de l'impuissance de les retenir. On appelle spasme cynique ou convulsion canine un mouvement alternatif des paupières, des joues, des mâchoires et du menton. La Paralysie soudaine ou défaillance des genoux, suivie de chute et de perte momentanée de connaissance prend le nom de lypothymie.
Les membres se paralysent tantôt séparément et un seul à la fois, un sourcil seul par exemple, un doigt seul, ou parmi les plus gros, un bras seul, une jambe seule ; tantôt plusieurs ensemble, soit ceux du côté droit, soit ceux du côté gauche ; ou bien successivement les uns après les autres, et cela avec différents degrés d'intensité ; non-seulement les membres partagés, pairs et du même nom, tels que les bras, les jambes se paralysent ainsi ; mais ceux mêmes qui naissent rapprochés et comme joints ensemble, tels qu'une moitié du nez, de la langue jusqu'à la ligne médiane, une amygdale seule, un des côtés du palais et du pharingx. Je pense même que l'estomac, les intestins, la vessie, le rectum jusqu'à l'anus éprouvent quelque chose de semblable ; mais les demi-paralysies de ces viscères, ainsi que leurs fonctions partielles, sont obscures et difficiles à connaître. Ce qui me porte néanmoins à croire que ces parties ne souffrent que par moitié et sont comme divisées en deux par le mal, c'est qu'on observe une différence de nature et de faculté entre les moitiés gauche et droite ; lorsqu'en effet les causes prédisposantes sont les mêmes, tels que les crudités, le refroidissement, ces deux moitiés ne sont pas également affectées ; ce qui devrait être, si les facultés étaient les mêmes ; car la nature agit d'une manière uniforme sur les sujets égaux et ne peut agir d'une manière inégale. C'est pourquoi s'il arrive qu'un organe principal situé au dessous du cerveau, comme la méninge de la moelle épinière, se trouve lésé, toutes les moitiés contigües et du même nom sont en même-temps paralysées ; savoir celle du côté droit, si la lésion est au côté droit ; et du côté gauche, si la lésion est au côté gauche ; si le cerveau est attaqué, le contraire arrive : la paralysie est au côté droit si la lésion est au côté gauche, et au côté gauche si elle est au côté droit. Ceci provient de l'entrecroisement des nerfs dès leur origine dans le cerveau. Ceux, en effet, qui partent du côté droit au lieu de se porter directement aux membres de ce côté, se détournent et se portent presqu'immédiatement au côté gauche ; ceux du côté gauche se dirigent de la même manière vers le côté droit, de façon que ces nerfs se croisent et forment à peu près la figure d'un X.
Généralement parlant, dans toute paralysie ou résolution des nerfs, soit de tout le corps, soit de quelque membre seulement au côté droit ou au côté gauche, tantôt ce sont les nerfs originaires du cerveau qui se trouvent lésés ; lesquels, pour l'ordinaire, sont facilement privés du sentiment, mais ne perdent pas aussi aisément par eux-mêmes le mouvement, à moins qu'ils ne souffrent en raison de leur sympathie avec les nerfs destinés au mouvement, dans lequel cas ils en perdent un peu ; car ils possèdent naturellement quelque mouvement quoiqu'en petite quantité ; tantôt ce sont les nerfs qui pénètrent d'un muscle à un autre qui se trouvent lésés, lesquels possèdent la plus grande partie du mouvement et le transmettent à ceux du cerveau ; car quoique ceux-ci aient, comme nous venons de le dire, un peu de mouvement par eux-mêmes, la plus grande partie néanmoins leur vient des nerfs moteurs ; ce sont ces derniers, quand ils sont lésés, qui souffrent principalement la perte du mouvement ; rarement ou presque jamais, selon moi, ils ne perdent par eux-mêmes le sentiment. Lorsqu'en effet un faisceau de nerfs qui passe d'un muscle à un autre se trouve lésé ou rompu dans son trajet, le membre reste faible et traînant ; mais il ne perd pas pour cela le sentiment.
La paralysie prend diverses formes, tantôt les parties paralysées se dilatent ou s'allongent au point de ne pouvoir se contracter ; d'autres fois elles se contractent au point de ne pouvoir se dilater ou se rallonger, et plus on cherche à les étendre, plus elles se retirent, à peu près comme un tissu de laine. La pupille de l'oeil est sujette à ces deux sortes de paralysies ; ou elle s'agrandit et se dilate trop, on lui donne alors le nom de platyriase ; ou bien elle se contracte et se rapetisse trop, c'est ce qui s'appelle Phthisie ou Mydriase. La vessie peut être paralysée dans ses fonctions, de ces deux manières, ou par trop de dilatation, et l'urine ne peut être retenue ; ou par trop de contraction, et elle se trouve alors supprimée.
Les causes de la paralysie sont au mombre de six. Les coups, les blessures, le refroidissement, les crudités, l'abus des plaisirs vénériens, l'ivrognerie auxquels on peut ajouter certaines émotions fortes de l'âme, comme les frayeurs subites, la crainte, les chagrins, la peur chez les enfants, une joie excessive, un rire perpétuel, inextinguible, mais ces causes ne sont qu'occasionelles. La cause principale et prochaine est le refroidissement de la chaleur naturelle. Quelque fois le mal provient aussi de la sécheresse ou de l'humidité, mais la paralysie produite par celle-ci est plus difficile à guérir que celle qui provient de l'autre ; celle qui provient d'une blessure est incurable.
Pour ce qui est des différents âges, les vieillards se guérissent à peine, les enfants beaucoup plus facilement. De toutes les saisons l'hiver est celle où elle règne le plus, ensuite le printemps et l'automne, l'été est la saison la plus favorisée. Quant aux tempéraments, les personnes naturellement grasses, d'une constitution humide, qui mènent une vie peu active, purement animale, y sont les plus exposées.
La paralysie, une fois confirmée, s'annonce par la perte du mouvement, l'insensibilité au froid et à la chaleur, comme aux piqûres, au pincement et aux attouchements douloureux. Il est rare que les extrémités affectées souffrent. Cette absence n'est pas mauvaise et peut contribuer à rétablir la santé. L'attaque est ordinairement soudaine, mais quelque fois la maladie prélude avec assez de lenteur ; il y a d'abord sentiment de pesanteur, difficulté à se mouvoir, engourdissement, des alternatives de froid et d'une chaleur excessive, peu de sommeil, des rêves plus fatiguants que de coutume, ensuite la paralysie se déclare tout-à-coup.
Dans le spasme cynique, il est rare que toutes les parties de la figure entrent en même temps en convulsion ; c'est ordinairement le coté droit qui se porte vers le côté gauche, ou le gauche vers le droit ; la bouche et le menton éprouvent de telles distorsions que la mâchoire paraît être disloquée, ce qui est quelque fois arrivé : la mâchoire inférieure reste alors pendante et la bouche énormément entr'ouverte ; il y a strabisme de l'oeil situé du côté de la partie affectée, avec palpitation de la paupière inférieure, souvent aussi de la supérieure, ou seule ou avec le reste de l'oeil. Tantôt les lèvres s'écartent l'une de l'autre, puis se rapprochent avec une espèce de bredouillement, ou bien elles restent fermées et très-closes pendant quelque temps, puis se rouvrent fortement tout-à-coup en faisant sortir avec bruit la salive ordinaire. La langue qui est une espèce de muscle et de nerf en même temps se convulse aussi ; elle se porte d'abord vers un des côtés du palais, semble s'y coller, puis se détache tout-à-coup avec une espèce de claquement. La luette n'est pas exempte non plus d'un tel mouvement convulsif ; quand la bouche se ferme, on entend un gargouillement soudain ; lorsqu'elle s'entr'ouvre, on aperçoit la luette tantôt placée de travers et comme collée à un des côtés du palais, tantôt violemment allongée et pendante, semblable à un petit fouet et en rendant le son.
Il y a dans les spasmes cyniques une apparence trompeuse en ce que le côté sain paraît être malade ; ce côté, en effet, a l'air d'être plus tendu, plus coloré à tous égards, et avoir l'oeil plus grand que l'autre ; mais on s'aperçoit de la méprise, lorsque le malade parle ou rit, ou fait quelques signes ; car alors la partie affectée se contracte avec beaucoup de violence ; les lèvres de ce côté ne rient point et ne se meuvent point quand la personne parle ou rit, le sourcil reste immobile, l'oeil roide et fixe : tout ce côté en un mot reste absolument insensible, pendant que le côté sain parle, rit, se montre sensible et expressif.

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