MEDECINE DES OISEAUX
CAUSES, NATURE
ET
TRAITEMENT DE LEURS MALADIES
Pierre MÉGNIN, Médecin-Vétérinaire
(1893)
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CHAPITRE VIII
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Maladies nerveuses
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Les maladies essentielles du système nerveux sont rares chez les oiseaux ; on n'a guère remarqué
chez eux que l'épilepsie, dont nous allons parler.
Epilepsie. L'épilepsie est une maladie nerveuse caractérisée par des accès convulsifs
avec perte du sentiment, séparés par des intervalles irréguliers pendant lesquels l'oiseau présente
tous les signes de la santé.
L'épilepsie chez l'homme et les grands animaux a des causes assez obscures ou plutôt encore inconnues
; les rares cas que nous avons observés chez des oiseaux étaient dus à des compressions du cerveau,
soit par des tumeurs, soit par une lésion accidentelle de l'enveloppe cranienne.
Un exemple d'épilepsie dû à la première cause nous a été fourni par une
famille de faisans dorés dont tous les sujets ont successivement succombé à la diphtérie ; au
début de l'épidémie, un beau coq nous frappa par des accès épileptiques qui le prenaient
chaque fois qu'on s'approchait de lui et qu'on l'effrayait. A sa mort, l'autopsie nous montra une tumeur diphtérique
à la base du crâne ; il en avait, de plus, dans le foie et dans les intestins et ce sont ces dernières,
plus récentes, qui ont amené la terminaison fatale.
Nous devons à un de nos correspondants, M. de C..., la relation d'un cas d'épilepsie dû à
une singulière cause : Un coq Campine de sa basse-cour ayant eu la crête gelée pendant le rigoureux
hiver que nous venons de traverser, était souvent poursuivi par un autre coq plus âgé, et, pour se soustraire
à ces attaques se juchait sur le perchoir le plus élevé du parquet, tout à fait sous la toiture
contre laquelle sa tête frottait, ce qui amena l'usure complète de la crête et la dénudation du
sommet du crâne. C'est alors que les accès épileptique se déclarèrent sur ce sujet : ils
se traduisaient par une contorsion complète du cou et une inconscience absolue des actes ; le bec se retournait complètement
en l'air et l'animal se roulait sur lui-même en reculant. Les attaques ne duraient que deux ou trois minutes, et pendant
un instant encore le cou restait légèrement contourné, et l'animal ne pouvait se porter en avant ;
puis tout rentrait dans l'ordre. Nous ignorons comment s'est terminée cette affection.
D'autres observateurs ont constaté chez les oiseaux des cas dépilepsie sans cause appréciable :
M. Trasbot, professeur de clinique à l'Ecole d'Alfort, a observé un cas très intéressant
d'épilepsie chez un moineau ; il l'avait vu tomber d'un arbre du parc de l'Ecole, en proie à un accès
et l'avait mis dans une cage pour l'étudier. Dans le commencement de son emprisonnement, on provoquait chez ce petit
animal les accès presque à volonté ; un simple battement de main ou même la seule présence
de l'observateur près du coin où il était renfermé, les déterminaient aussitôt
: d'abord, il poussait des cris aigus comparables à ceux que font entendre la plupart des oiseaux lorsqu'ils sont
effrayés ; puis il exécutait presqu'en même temps des battements rapides et désordonnés
des ailes et des pattes, tombait tanôt sur un côté, tantôt sur l'autre ; quelquefois même
il se renversait littéralement sur le dos et agitait violemment ses membres ; montrait des roulements d'yeux, des
torsions complètes du cou, des mouvements cloniques du bec, etc., etc. ; enfin, il était en proie à
toutes les convulsions que l'on constate chez les animaux épileptiques, à quelqu'espèce qu'ils appartiennent.
Cette partie de l'accès durait de trente secondes à une ou deux minutes et était remplacée par
une deuxième phase caractérisée par un collapsus général pendant lequel le pauvret était
complètement insensible et absolument inerte. Le relâchement si remarquable dont il s'agit et qui parut à
M. Trasbot en quelque sorte plus profond et plus prolongé que dans beaucoup d'autres espèces, ne disparaissait
guère qu'après dix ou quinze minutes ; ce temps écoulé, le sujet reprenait graduellement l'usage
de ses sens ; il essayait d'abord de se mettre debout en s'étayant de son bec et de ses ailes ; enfin, après
avoir titubé et trébuché pendant quelques instants, il reprenait sa position bipédale régulière
et il n'y paraissait plus jusqu'à nouvel accès. Cependant, si dans ce moment quelqu'un s'approchait de lui
ou si un bruit quelconque l'excitait, il cherchait à s'envoler et retombait aussitôt sous le coup d'une crise
nouvelle tout à fait semblable à la première. M. Trasbot l'a vu, dans ces conditions, éprouver
trois secousses successives dans la même matinée. Plus tard, il devint de moins en moins impressionnable et,
au bout de quelque temps, il prit sa volée sans la moindre irrégularité dans ses mouvements, et laissa
par cette fugue l'étude de M. Trasbot inachevée.
Un auteur allemand Friedberger a aussi observé l'épilepsie chez un pinson et cette dernière
observation est particulièrement intéressante parce que l'auteur a traité l'oiseau en lui donnant comme
boisson une solution de bromure de potassium qui paraît avoir joué un excellent rôle dans la guérison
(1).
M. Ch. Féré a communiqué à la Société de Biologie (2) une observation d'épilepsie
sur un serein âgé de 2 ans 1/2 qui, depuis six mois, était atteint de crises convulsives et d'une modification
du caractère : il avait perdu sa vivacité et ne chantait plus. L'oiseau fut soumis au traitement brômuré,
on lui donna en boisson une solution de 0,50 % et on le maintint en observation. Pendant les premiers jours, il continua
à avoir des attaques qui se présentaient de la manière suivante : Il restait un moment fixe en soulevant
légèrement les deux ailes, les paupières se mettaient à clignoter rapidement, la tête
s'agitait d'un mouvement de rotation alternatif sur son axe, en même temps que le cou se tordait à gauche,
puis il tombait sur le côté droit en agitant les ailes et les pattes. Les mouvements d'abord rapides se ralentissaient,
puis s'arrêtaient tout à fait au bout de trente à quarante secondes ; l'oiseau restait un instant sur
le flanc, puis se relevait et marchait en avant en frappant le sol avec son bec. L'inconscience paraissait absolue ; il
se laissait pousser sans chercher à s'enfuir. Au bout de deux à trois minutes, il redevenait capable de voler....
Au bout de trois semaines de traitement, les troubles convulsifs avaient disparu, l'oiseau avait repris son chant. Il a
été accouplé avec une femelle et a eu un petit. Depuis, sa guérison ne s'est pas démentie.
Les oiseaux prennent facilement le bromure de potassium dans leur boisson, d'après les constatations de M.
Féré ; il en a fait prendre ainsi à des pigeons jusqu'à 1 et 2 %. La première dose peut
être tolérée pendant des mois ; la seconde détermine des effets de bromisme comme chez l'homme
: somnolence, inappétence, amaigrissement, titubation, chute sur le dos et état de mort apparente, et finalement,
mort réelle. Sur deux pigeons ainsi intoxiqués pesant ensemble 622 grammes ; incinérés, ils
ont fournis 47 gr. 50 de cendres dans laquelle on a trouvé 3,75 de bromure.
(1) Friedberger et Frëhner, Pathologie et thérapeutique spéciale des animaux domestiques, trad.
Cadjot et Ries, Paris, 1892, t. 11, p. 148.
(2) Société de Biologie, Comptes rendus, 10 Juin 1893.